vendredi 12 juin 2020

En mémoire de la Promenade

Le 14 juillet 2016, un camion fonce dans la foule présente sur la Promenade des Anglais à Nice.

Presque quatre ans après, Promenade de la mémoire réunit les témoignages de six victimes de cet attentat, adaptés en bande dessinée par Alexis Sentenac, Edmond Baudoin, Céline Wagner, Joël Alessandra, Alexis Robin et moi-même. Sa parution a été reportée à plusieurs reprises, à cause de la pandémie. Il est enfin en librairie depuis le 3 juin.

Illustration © Joël Alessandra/Des Ronds dans l'O, 2020

Quand Marie Moinard, fondatrice des éditions Des ronds dans l'O, m’a contactée l’année dernière pour participer à cet album, j’ai beaucoup hésité. Le but, la prévention de la radicalisation, était louable, toutes les garanties avaient été réunies autour du recueil des témoignages, effectué par Isabelle Seret, spécialiste en sociologie clinique et formée en victimologie appliquée… mais me faire l’écho de tant de violence, de tant de souffrances me semblait a priori trop dur.

Et puis j’ai lu le témoignage de Séloua, qui a perdu sa sœur aînée Aldjia ce soir-là. La double peine subie par cette jeune femme d’origine algérienne et confrontée à l’islamophobie la nuit du drame, alors même que sa sœur est l’une des victimes, m’a convaincue de passer outre mes réticences.

Il s’agissait d’adapter la transcription du témoignage, longue de cinquante-deux pages, en onze planches de bande dessinée… Après avoir lu et relu ces pages, rétabli le fil chronologique d’un récit rendu chaotique par l’émotion, identifié les différents protagonistes, les différents lieux, j’ai fait ce premier chemin de fer, à partir duquel j’ai écrit le scénario.


J’ai tenu à conserver autant de phrases prononcées par Séloua que possible, tant elles m’ont frappée par leur sincérité, leur force et, de manière plus inattendue, leur poésie.

Voici la première version, en deux pages, du récit de la panique face à la foule qui fuit sur la promenade des Anglais.


Puis l’esquisse ramenée à une seule page.


Et enfin la planche définitive.
© Jeanne Puchol/ Des Ronds dans l'O, 2020

 Quelle plus belle récompense que ces paroles de Séloua, à qui Isabelle Seret a montré mes planches :

« Ce brouhaha de la planche 2, c’est vraiment ce que j’avais dans la tête. Est-ce que j’allais mourir ? On passe de la joie à la peur puis à la confusion et on voit le changement de climat d’une page à l’autre. Ce sont mes yeux. L’artiste a bien perçu que ce sont mes yeux parce que dans mon cerveau, je n’ai pas encore compris. Là, je vais pouvoir témoigner, laisser une trace. À travers le récit et grâce aux illustrations, cela donne de l’empathie et ça permet de comprendre ce que j’ai ressenti pour donner un peu d’humanité. Je voulais donner ce vécu humain et déchirant autrement que dans les médias. J’aimerais partager ces planches là où je vais prier, à l’école, dans les cours d’éducation civique. C’est une manière de faire de la prévention et de faire vivre ma sœur. Je veux comprendre les causes de sa mort. Je veux donner un sens à sa mort. C’est très bien pour cela. »

En savoir plus sur Promenade de la mémoire, lire des extraits, commander l'album ? C'est possible sur le site des éditions Des Ronds dans l'O.

2 commentaires:

Philippe a dit…

Cette page c'est du cubisme qui télescope de la typographie. Vous avez rendu le chaos et l'angoisse d'un événement grave de manière convaincante. Cette planche me glace le sang, comme il se doit.

Jeanne Puchol a dit…

Merci Philippe, votre commentaire me touche beaucoup.